Le piège des médecines douces
Voilà quelques années qu’elles inondent la toile mais… de quoi parle-t-on au juste ?
Communément on oppose les médecines “douces” aux médecines “conventionnelles“, cette première catégorie étant considérée comme “l’alternative” à la seconde, d’où le terme également de “médecines alternatives“.
Ce choix de vocabulaire me laisse songeuse et trahit notre façon de penser “à l’occidentale”. Nous avons rapidement orienté notre univers de la Santé autour de molécules chimiques, synthétisées en laboratoire, à l’inverse d’autres sociétés qui ont conservé une place de choix pour les médecines traditionnelles.
Vous remarquerez que j’utilise beaucoup de guillemets dans cet article, ce qui n’est pas mon habitude. En effet, je suis contre ces termes de “médecines douces” ou “alternatives”. Pourquoi ? Vous allez vite comprendre !
C’est quoi “une médecine douce” ?
Est englobé dans ce terme un panel diversifié de pratiques :
- acuponcture
- aromathérapie
- homéopathie
- ostéopathie
- phytothérapie
Certains y ajoutent également la psychologie, l’ergothérapie, la diététique… Bref, pas moins de 400 disciplines peuvent être incluses dans le terme “médecine douce”.
L’académie nationale de médecine utilise le terme de « thérapies complémentaires » pour désigner les pratiques pouvant intervenir en plus de soins conventionnels, pour contribuer au bien-être des patients. Si l’Ordre des médecins utilise l’expression « médecines alternatives et complémentaires », le terme « alternatives » interroge quant au risque de perte de chance auquel s’exposent les patients qui se détourneraient de la médecine reconnue.
economie.gouv.fr
A la dérive…
Notre réglementation française a encore du mal à encadrer réglementairement la pratique de ces différentes façons de soigner. De ce fait, il est ultra simple de trouver sur internet des recettes “anti rhume”, “contre la migraine”, “pour booster ses défenses immunitaires”, “contre la cellulite”… avec des produits que l’on trouve tout aussi facilement dans le commerce, en libre accès et à prix abordable. Il n’a jamais été aussi simple de se soigner tout seul à la maison !
C’est à partir de là que “les médecines douces” partent à la dérive. L’envie de bien faire en limitant l’utilisation de produits de synthèse issus des laboratoires pharmaceutiques, en évitant d’aller chez le médecin, en fabriquant ses propres remèdes de grands-mères… peut mettre en danger le consommateur, sans qu’il s’en aperçoive !
Pour illustrer mes propos, je vous propose de prendre l’exemple de l’huile essentielle de Cannelle. La médecine qui travaille avec les huiles essentielles s’appelle l’aromathérapie (si vous remontez un peu plus haut dans l’article, vous verrez qu’il s’agit d’une des catégories des “médecines douces”) : ainsi, les recettes santé à base d’huile essentielle de Cannelle peuvent être considérées comme issues de “la médecine douce”.
La cannelle, vous la connaissez, c’est cette épice qui est intimement liée aux odeurs de Noël dans notre imaginaire collectif, cette douce fragrance qui rappelle le pain d’épices et le vin chaud. Au-delà de la cuisine, l’huile essentielle de Cannelle est réputée pour ses propriétés purifiantes et désinfectantes (elle est même utilisée dans certains hôpitaux pour désinfecter les surfaces !!)
Ces deux propriétés font qu’on la retrouve dans un bon nombre de recettes contre l’acné, contre les verrues… Ce qui me choque, c’est que très peu de recettes précisent les précautions d’emploi ou les risques liés à l’utilisation des matières premières qu’elles utilisent. En l’occurrence, l’huile essentielle de Cannelle n’est pas simplement “purifiante”, elle est également dermocaustique. Cela signifie qu’une goutte d’huile essentielle pure qui touche la peau peut littéralement la bruler !
Par analogie, si un jour vous décidez de vous lancer dans la saponification à froid (pour fabriquer vos savons à la maison), vous aurez toujours dans vos recettes un premier laïus qui rappelle (à juste titre) la dangerosité de la soude (elle aussi caustique…), alors pourquoi ne trouve-t-on pas les mêmes avertissements pour chaque ingrédient issu de la “médecine douce” ?
L’importance de la sémantique :
Ainsi, certaines huiles essentielles peuvent être dermocaustiques (qui brulent la peau), d’autres neurotoxiques (qui impactent le système nerveux), d’autres sont des phytohormones (hormones végétales qui viennent perturber nos propres hormones humaines)… Alors pourquoi parler de “médecines douces” ??
Le terme de “médecines alternatives“, comme le souligne le texte du Gouvernement, laisse supposer que c’est soit “les médecines allopathiques” (comprenez “issues des laboratoires pharmaceutiques”), soit ces “médecines alternatives”. Car l’alternative, c’est bien qu’il faut faire un choix : c’est “soit l’un, soit l’autre, mais pas les deux”.
A partir du moment où on décide de rayer totalement un choix, des dérives peuvent apparaitre. Si nos médecines allopathiques existent depuis quelques décennies, c’est bien parce qu’elles ont prouvé leur efficacité : refuser de faire appel à elles quand elles sont nécessaires peut conduire à de graves problèmes, mais à l’inverse les utiliser à tire larigot peut réduire leur efficacité (souvenez-vous de la campagne “les antibiotiques, c’est pas automatique” qui visait à réduire l’utilisation des antibios de façon à garantir le maintien de leur efficacité).
Ainsi, le terme “médecines complémentaires” me parait personnellement plus justifié : recourir à ces médecines “traditionnelles” tout en conservant l’option “médecines allopathiques” quand il le faut.
Enfin, le dernier terme “médecines naturelles” est pour certaines d’entre-elles exagéré. Si on reste sur l’exemple des huiles essentielles, la majorité sont fabriquées par distillation (pas très naturel comme processus : il faut bien un alambic et un chimiste pour faire tourner le truc…) et d’autres par extraction avec des solvants (et qui dit “solvant”, dit “passage en laboratoire”…)
De premier abord, on pourrait se dire qu’il ne s’agit que de nuances entre ces différents termes, mais ces nuances peuvent amener le consommateur à avoir une fausse idée de l’impact des ingrédients qu’il va sélectionner pour ses cosmétiques fait-maisons, par exemple; voire carrément entrainer une dérive sectaire en le coupant en totalité de la médecine allopathique. Alors… trois conseils pour conclure :
- renseignez-vous toujours sur les propriétés des matières premières que vous allez utiliser dans vos recettes, pour adapter vos gestes et travailler en toute sécurité.
- Si vous avez un doute, rapprochez-vous d’un spécialiste : un blog de DIY n’est pas une valeur sûre !
- Restez ouvert dans vos façons de penser : les extrêmes n’ont jamais rien apporté de bon…
Maintenant, à vous de juger et de vous faire votre propre opinion !